La donation d’actions par inscription au registre : une fausse bonne idée !

Rédigé le 16 January 2023

La donation indirecte d'actions par inscription au registre des actions nominatives est plus que risquée : c'est la porte ouverte aux problèmes.

Vous passez doucement la main à vos enfants et, peu à peu, vous leur transmettez des actions de votre société. Ou alors, vous travaillez main dans la main avec votre compagne depuis tant d’années, mais toutes les actions de la société sont à votre nom et vous souhaitez mettre de l’ordre dans tout cela.

Le plus simple parait être d’inscrire le transfert des actions dans le registre des actions nominatives de la société.

C’est le début des ennuis.

  1. Les Principes

L’article 931 de l’ancien Code civil dispose que : 

« Tous les actes portant donation entre vifs seront passés devant notaires, dans la forme ordinaire des contrats ; et il en restera minute sous peine de nullité ». 

Selon cette disposition, les donations doivent obligatoirement être passées par un acte authentique (devant notaire) et ce, à peine de nullité

Il s’agit d’une nullité dite « absolue ». Cela signifie que tant le donateur que le donataire peuvent l’invoquer, même si, au départ, chacun était bien d’accord de faire ou de recevoir une donation.   

Il existe toutefois deux exceptions à cette règle : 

  • le don manuel (de la main à la main), et 
  • la donation indirecte, à savoir un acte qui réalise le transfert de propriété sans révéler en lui-même qu’il s’agit d’une donation. 

Le cas le plus courant de la donation indirecte est celui des parents qui font une donation par virement à leur enfant. Ils lui font un transfert bancaire sans indiquer aucune communication ; ensuite, ils adressent à leur enfant une lettre recommandée dans lequel ils précisent qu’il s’agissait bien d’une donation (et non d’un prêt, par exemple). En retour, l’enfant adresse une lettre recommandée à ses parents dans laquelle il les remercie chaleureusement pour leur générosité. 

Nous avons donc un acte (le virement bancaire) qui réalise un transfert de propriété (l’argent passe d’un compte à l’autre) sans révéler qu’il s’agit d’une donation (il n’y a pas de communication). Et après, et seulement après, on s’échange des lettres recommandées pour servir de preuve.

  1. Peut-on faire une donation indirecte par inscription dans le registre des actions nominatives ?

Dans les registres des actions nominatives des sociétés, il existe une colonne « nature de l’opération » qu’on peut compléter de façon neutre (par exemple en indiquant « cession » ou « transfert », sans dire s’il s’agit d’une cession à titre gratuit ou à titre onéreux). Il y a également une colonne intitulée « versements effectués », mais on n’est pas obligé de la compléter.

On peut donc inscrire dans le registre une « cession » ou un « transfert » sans indication du montant.  

Une telle inscription ne révèlerait donc pas en elle-même qu’il s’agit d’une donation. Mais s’agit-il pour autant d’une donation indirecte valable ?

  1. Controverse traditionnelle

Traditionnellement, la question était controversée. 

La réponse variait selon que l’on considérait : 

  • que l’inscription dans le registre valait titre de propriété ; il y aurait alors bien un acte (l’inscription), qui réalise un transfert de propriété, sans dire qu’il s’agit d’une donation (= donation indirecte) ;
  • que l’inscription dans le registre est seulement d’une règle d’opposabilité de la propriété aux tiers, qui ne réalise pas, en tant que tel, un transfert de propriété, si bien qu’il est impossible qu’il puisse s’agir d’une donation indirecte.

La grande majorité de la doctrine et de la jurisprudence penchaient pour la seconde option. 

  1. L’arrivée du CSA

Le Code des Sociétés et des Associations (CSA) a apporté un élément de réponse déterminant dans les débats. 

En effet, il précise que :

  • article 5:61, al. 1 (SRL) et article 7:73 (SA) : le transfert de propriété d’actions s’opère selon les règles du droit commun ;
  • article 5:61, al. 2 (SRL) et article 7:74 (SA) : l’opposabilité du transfert de propriété se réalise par son inscription au registre.

À cet égard, les travaux préparatoires du CSA explicitent que : 

« il convient  de  distinguer  les  dispositions  qui  régissent la non-opposabilité de la cession des dispositions relatives  à  la  validité  de  la  cession  ‘inter  partes’  (à  la  suite  d’une vente, d’une donation ou d’un autre acte juridique). L’alinéa 2  (de l’article 5:61) précise  que  l’opposabilité  aux  tiers  résulte  de  la  mention de la cession dans le registre des actions »[1]

Ainsi donc, il est maintenant clair que le transfert de propriété doit s’opérer conformément au droit commun.

Or le droit commun impose la passation d’un acte authentique devant notaire. 

L’inscription du transfert au registre des actions est certes un acte neutre (il n’est pas précisé si le transfert intervient à titre gratuit ou onéreux), mais il n’opère pas, en lui-même, de transfert de propriété. Ainsi, la condition essentielle qu’est le transfert de propriété fait défaut.

En conclusion, une donation réalisée par une simple inscription dans le registre viole l’article 931 de l’ancien Code civil et risque d’être frappée de nullité.

  1. Les alternatives

Pour éviter le passage que la case « Notaire », la pratique imagine plusieurs mécanismes pour, de facto, réaliser une donation d’actions, telles que :

  • la vente des actions (plutôt que la donation), suivie d’une remise de prix  (« tu ne dois plus rien ») ;
  • la vente des actions (plutôt que la donation), suivie d’une quittance de prix (« on fait comme si tu m’avais payé ») ;
  • le don des sommes nécessaires pour acquérir les actions (« je te donne l’argent et tu m’achètes les actions ») ;
  • la dématérialisation des actions et le transfert d’actions de compte à compte, de façon neutre et sans indication d’un quelconque versement. En pareil cas, on retrouve les caractéristiques de la donation indirecte.

A chaque fois, il y a toutefois un risque que l’administration vienne mettre son nez dans l’opération et considère celle-ci comme un abus fiscal.

Cependant, à notre humble estime, la quatrième de ces alternatives est celle qui, sur papier, présente le moins de risque, car elle très semblable à la donation indirecte par virement bancaire dans la validité n’est pas contestée. 

 

Notre conseil : Il faut absolument éviter les donations par inscription dans le registre « papier ». Le transfert de compte à compte dans un registre dématérialisé est clairement jouable. Le plus sûr, est de passer chez son notaire, sachant que les droits de donation en ligne directe sont relativement raisonnables.

 

Me Emilie Hartmeyer

Avocate

emilie.hartmeyer@solutio.law

 

Me Thierry Corbeel

Avocat spécialiste en droit de société et en droit commercial

thierry.corbeel@solutio.law

 

 

[1]      Doc.  parl.,  Ch.,  sess.  ord. 2017-2018,  n°54-3119/001,  p.149. 

 

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