Les clauses de détermination de prix en cas de retrait ou d'exclusion
En cas d'exclusion ou de retrait d'un associé, la grande inconnue, c'est la valorisation. On peut toutefois prévoir à l'avance le formule de calcul !
Depuis l’arrivée du nouveau Code des sociétés et des associations, les clauses contractuelles ou statuaires déterminant le mode de calcul des titres en cas de retrait forcé ou d’exclusion d’un actionnaires s’imposent au juge.
1. Quelle valorisation ?
On connait les procédures d’exclusion et de retrait qui peuvent être mises en œuvre en cas de conflit entre associés.
En pareil cas, ces questions reviennent toujours : « Combien vais-je devoir payer pour racheter ses actions ? » ; « Combien vais-je recevoir pour prix de mes actions ? ».
En fait, le prix de cession sera déterminé par le juge qui, dans l’immense majorité des cas, désignera un expert judiciaire pour l’éclairer.
Pour se faire une idée, on peut bien sûr faire appel à un expert-comptable ou un réviseur d’entreprises spécialisé en matière d’évaluation d’entreprise. Ceux-ci détermineront une fourchette raisonnable : « entre autant et autant ! ».
En outre, il a toujours un ‘facteur chance’ dans une procédure judiciaire ; chaque avocat a gagné des affaires qu’il croyait perdre et a perdu des affaires qu’il croyait gagnées d’avance. L’aléa judiciaire vient donc écarter encore un peu les branches de la fourchette raisonnable fixée par le comptable ou le réviseur.
L’incertitude est donc grande !
2. Formule de prix
Pour parer à cette incertitude, souvent, dans un pacte d’actionnaires, on prévoit une formule, une méthode de calcul pour déterminer la valeur des actions en cas de litige.
Toutefois, la jurisprudence très largement majoritaire considérait que ces clauses de détermination de prix ne liaient pas le juge appelé à statuer dans la cadre d’une procédure en exclusion ou en retrait. Bien évidemment, les rédacteurs des pactes connaissaient cette jurisprudence, mais ils y inséraient néanmoins une formule de prix en considérant, à raison, que cela aurait quand même une certaine influence sur l’expert judiciaire et donc sur le juge.
Le nouveau Code des sociétés et des associations (CSA) bouleverse la donne.
En effet, les articles 2:67, al. 2 (hypothèse de l’exclusion) et 2:69, al. 2 (hypothèse du retrait) du CSA disposent dorénavant que :
Lorsqu’il fixe le prix de reprise, le juge est tenu par les dispositions contractuelles ou statutaires relatives à la fixation de la valeur des titres, pour autant que ces dispositions se rapportent spécifiquement à l’hypothèse d’une exclusion judiciaire / d’un retrait judiciaire et que ces conventions ne donnent pas lieu à un prix manifestement déraisonnable. En tous les cas, le juge peut se substituer à toute partie ou à tout tiers désigné par les statuts ou les conventions pour fixer le prix.
On relève donc que :
1. Une clause de fixation du prix lie le juge.
2. La clause peut figurer soit dans un pacte d’actionnaires, soit dans les statuts.
3. La clause doit prévoir que la formule de prix s’applique spécialement en cas de retrait ou d’exclusion judiciaire. A contrario, une clause de valorisation applicable en cas d’option put ou call ne serait pas applicable en cas de procédure de retrait ou d’exclusion.
4. Le juge peut « by-passer » la clause si la formule mène à un prix « manifestement déraisonnable ». Le juge a donc un certain pouvoir d’appréciation, mais pour autant, il garde les mains liées : il ne peut agir qu’à la marge, c’est-à-dire si le prix est totalement disproportionné. Si c’est seulement « très cher », ou « très peu cher », le juge ne pourra pas intervenir. De beaux débats en perspective pour les avocats !
5. Le juge est lié par la méthode de calcul fixée, mais pas par la personne qui serait désignée par les statuts ou le pacte pour fixer le prix ou appliquer la formule convenue. Ainsi, une clause prévoyant que « le prix sera fixé par un réviseur d’entreprises désigné par le président de l’IRE saisi à la requête de la partie la plus diligente » ne liera pas le magistrat.
3. Conseils
Au vu de cette nouvelle donne, il faut être particulièrement attentif aux points suivants :
1. Il importe de vérifier dans les pactes d’actionnaires existants si une formule de prix est prévue spécifiquement en cas d’exclusion ou de retrait. Pour les pactes récents, c’est souvent le cas (les rédacteurs ont anticipé le CSA) ; pour les pactes plus anciens, c’est beaucoup plus rare.
2. Prudence, prudence, prudence avant de déterminer une méthode de valorisation. En trois, cinq ou dix ans, le business peut tellement changer qu’une méthode adaptée aujourd’hui peut être totalement inadaptée demain. On risquerait dès lors de se retrouver dans la zone grise du prix « manifestement déraisonnable ». Pour réduire ces incertitudes, on pourrait imaginer une clause prévoyant que la formule ne s’applique pas si elle mène à tel ou tel extrême.
3. Pour éviter de longs débats et des difficultés pratiques, il est sage, dans la formule, de prévoir le moment auquel on cliche les comptes pour déterminer le prix. Ce pourrait être, par exemple, sur base des derniers comptes approuvés par l’assemblée générale, ou sur base des comptes au terme du trimestre précédent l’introduction de la procédure judiciaire. Si rien n’est prévu, ce sera au moment où le juge ordonne la reprise des titres en jeu, soit, le plus souvent, au moment où il statue.
4. Conclusion
En conclusion, on constate que le CSA donne une liberté nouvelle et apporte de la sécurité juridique en matière de détermination du prix de cession en cas de retrait et d’exclusion.
Il ne reste plus qu’à en profiter !
Septembre 2019
Me Thierry Corbeel
Avocat spécialisé en droit commercial et en droit des sociétés