Une si vieille facture

Rédigé le 1 October 2015

Vous avez encore une chance ! Sous quelques réserves... Nos explications utiles dans cet article.

1. Introduction

 

Peut-on encore réclamer le paiement d’une facture vieille de plusieurs années ? À l’inverse, est-on encore tenu de payer une dette lorsque le créancier est resté silencieux et inactif pendant cinq, dix, quinze ou vingt ans ?

 

2. Prescription de la facture

 

La première question à se poser est bien sûr celle de la prescription. La réponse dépendra de la nature de la créance. La matière fourmille de règles, d’exceptions, de mesures transitoires et de régimes particuliers. Bref, c’est un véritable casse-tête pour les praticiens. Pour simplifier, retenons que la règle générale est celle de la prescription décennale pour les factures entre entreprises. La dette est donc éteinte si le créancier est resté inactif pendant dix ans. En l’absence d’un contrat, la dette est exigible pendant 5 ans.

Cependant, il existe encore bien d’autres cas pour lesquels la prescription varie. Citons notamment :

  • Les créances des hôteliers et des restaurateurs : 6 mois.
  • Les créances des huissiers : 1 an.
  • Les créances d’indexation de loyer : 1 an à partir du moment de l’envoi de votre courrier recommandé dans lequel vous demandez une indexation.
  • Les loyers, les intérêts et les rentes alimentaires : 5 ans.
  • Les honoraires d’avocats et d’experts : 5 ans à partir de la fin de leur mission.
  • Les honoraires des prestataires de soins : 2 ans à compter de la fin du mois au cours duquel les soins ont été prodigués.
  • Les créances des marchands à l’égard des non-marchands: 1 an. Cependant, si la facture a été reconnue par écrit et qu’elle est payable par année (ou plus fréquemment qu’une fois par an), on retombe sur la prescription de 5 ans.

 

3. L’interruption de la prescription

 

Le compte à rebours peut cependant être interrompu par différentes méthodes :

  • Par une action en justice (p.e. une citation ou une saisie ; article 2244, § 1 du Code civil) ; la prescription recommencera à courir à partir de la fin de l’instance judiciaire. En règle, le jugement rendu sera prescrit après 10 ans (sauf nouvelle interruption, par exemple en cas de saisie-exécution), même si l’affaire portait sur un droit soumis à une prescription courte.
  • Par la reconnaissance, expresse ou tacite, de la dette par le débiteur ; la prescription recommencera à courir dès le lendemain de la reconnaissance (article 2248 du Code civil)
  • Par la mise en demeure envoyée à un débiteur par un avocat (« l’acte d’avocat »), un huissier de justice ou un délégué syndical au nom du créancier (article 2244, § 2 du Code civil) (Par contre, une mise en demeure du créancier (tout comme la sommation d’huissier) même sous plis recommandé n’interrompt pas la prescription. Au mieux, elle fait juste courir les intérêts).

Notez que l’arrivée à terme du délai de prescription n’empêche pas le paiement de la facture. Si le débiteur le souhaite, il pourra tout à fait payer son créancier après que le délai de prescription soit écoulé. A contrario, le débiteur traduit en justice devra prouver que le délai de prescription est écoulé s’il refuse toujours de payer.

 

4. Les factures d’approvisionnement utilitaires

 

Il était admis que l’action en paiement de créances lié à la fourniture d’électricité se prescrivait par 5 ans, conformément à l’article 2277 du Code civil, à partir du moment où la facture devient exigible. Tel était la règle pour les fournitures à payer périodiquement comme l’eau, le gaz, la téléphonie, internet, etc.

L’intérêt de cette disposition est de « protéger le débiteur d’une dette périodique contre la croissance permanente et à inciter le créancier à la diligence » (Ch. BIQUET, « La prescription des intérêts moratoires à l’aune des conditions d’application de l’article 2277 », note sous Cass. 31 mai 2012, R.G.D.C., p. 450).

Cependant, en ce qui concerne les factures d’énergie, d’autres juges préférèrent appliquer un délai de prescription plus court, basé de l’article 2272 du Code civil. Celui-ci prévoit que :

L'actiondes marchands, pour les marchandises qu'ils vendent aux particuliers non marchands
  …  [s]e prescri[t] par un an.

À l’inverse de la prescription prévue à article 2277 du Code civil, celle de l’article 2272 « a été instaurée par le législateur en raison de l’existence d’obligations qu’il n’est pas d’usage de constater par écrit, dans la mesure où les débiteurs s’en acquittent très rapidement au comptant. Cette courte prescription est fondée sur une présomption de paiement afin d’éviter qu’un marchand, peu scrupuleux, puisse poursuivre son client en paiement d’une dette déjà honorée » (Cass., 8 janvier 2015, C.14.0268.F/6).

Cette courte prescription peut être intervertie si le créancier dispose d’un écrit émanant du débiteur constatant la créance (bon de commande signé par le débiteur, facture expressément acceptée, etc.)

La situation bipolaire a été récemment tranchée par l’arrêt du 8 janvier de la Cour de cassation dans lequel un couple avait reçu en 2008 une facture d’Electrabel liée à ses consommations de 2006.  Le couple avait contesté cette ancienne facture en soutenant que, d’une part, il y avait eu prescription et que, d’autre part, la facture avait été payée.

L’affaire fut remportée par le couple en première instance ainsi qu’en appel et la Cour de cassation rejeta le pourvoi fait par Electrabel.

Très concrètement, quand une fourniture d’énergie a été faite par un marchand, c’est-à-dire un professionnel, à l’égard d’un non marchand, c’est-à-dire un consommateur (Mons, 9 octobre 2000, J.T., 2001, 635) et qu’aucun écrit ne constate cette créance, la prescription de type court (1 an) s’appliquera.

L’intérêt était donc de déterminer le rôle de la facture d’énergie, laquelle n’a pas été considérée comme un écrit permettant d’intervertir la durée de la prescription parce qu’elle émane du créancier (si le débiteur/non marchand la reconnaît en la contresignant, la prescription serait alors de 5 ans).

Le débiteur est donc présumé avoir payé à l’écoulement de cette prescription, ce que soutenait le couple dans l’affaire. La situation ne serait cependant pas différente pour un mauvais payeur qui veut utiliser à son avantage la prescription annale.

« En principe, la prescription libère le débiteur. Lorsque ce dernier se prévaut de l’écoulement du délai, il ne soutient pas avoir payé : il prétend seulement être libéré par l’effet du temps, sans que l’on puisse rechercher si la dette a été acquittée. La prescription de droit commun ne souffre donc pas de la preuve contraire » (M. MARCHANDISE, « La prescription libératoire en matière civile », dossiers du J.T., n°64, Larcier, 2007, p. 70).

L’impact de cet arrêt n’est pas à négliger puisque désormais, toutes les fournitures faisant l’objet d’une facture (eau, gaz, téléphonie, internet, etc.), toutes les factures liées aux livraisons de biens (sans qu’un bon de commande soit contresignés par le débiteur), toutes les factures liées les réparations des garagistes (si le devis n’est pas signé), etc. sont susceptibles d’être prescriptes après un an

 

5. Abus de droit

 

Le fait pour le créancier de ne prendre aucune mesure pendant un long délai pour recouvrer sa créance crée, dans le chef du débiteur, une croyance légitime que celui-ci a abandonné sa créance (Liège, 8 octobre 2007, J.L.M.B., 2008, p. 1800).

Il y a donc abus de droit lorsqu’une personne découragée, paresseuse ou mal organisée n’a de facto pas utilisé son droit à récupérer sa créance comme l’aurait fait un créancier normalement prudent et diligent (Mons, 3 février 2004, D.A.O.R., 2004, p. 62 ; S. Stijns, « La rechtsverwerking : fin d’une attente (dé)raisonnable ?- Considérations à propos de l’arrêt de la Cour de cassation du 17 mai 1990 », J.T., 1990, pp. 685 et s.).

S’il est fautif, son droit de créance ne disparaît pas pour autant. Il y aura cependant réduction de ce droit à ce qu’il eut été si le créancier n’avait pas tant tardé. Concrètement, le débiteur devra payer la facture, mais pas les intérêts de retard couvrant la période où le créancier a fait fautivement valoir ses droits (Mons, 3 février 2004, op. cit., p. 63).

Reste donc à déterminer à partir de quand le retard du créancier devient anormal. Tout est cas d’espèce et dépendra, notamment, de la personne du créancier (institution (semi-)publique, société commerciale, personne privée).

On peut toutefois estimer qu’au-delà de trois ans, l’affaire devient ‘plaidable’.

 

6. Conclusion

 

Le temps passe vite pour le créancier qui oublie et lentement pour le débiteur qui y croit. 

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